LES TRIBULATIONS  de  PIERRE

 

 

         Dans tous les clubs, associations, ou autres organisations, des gens se groupent, se rencontrent pour pratiquer une activité sportive ou culturelle, discuter de choses et d’autres ou refaire le monde.

Il résulte souvent de tous ces contacts entre les personnes, que des anecdotes se produisent apportant sa touche de suspens, cocasse, rocambolesque.

Notre sympathique club de cyclos n’échappe pas à la règle, et notre ami Pierre avec sa légendaire désinvolture apporte son lot au chapitre des anecdotes.

 

         Nous voici donc dans les Dolomites pour un séjour d’une huitaine de jours, région bien connue pour sa beauté exceptionnelle, et appréciée suivant  les cas par les gens du vélo, pour ses cols aux pentes longues et sévères.

 Après deux journées d’escalade et plus de 4300 mètres de dénivelée, notre ami décide de prendre pour le lendemain un RTT ( si Martine n’était pas passée par là, Pierre aurait légiféré dans ce sens...). sans doute voulait-il conserver au mieux sa noble ceinture abdominale.

 

Pour nous autres le programme est également modifié avec seulement, si je peux dire, l’ascension du col de l’Erbe dont tout le monde se souviendra, et repos bien mérité pour l’après-midi.

 Nous escaladons ce difficile “ Passo “ et rejoignons l’hôtel où nous retrouvons Pierre bien reposé, qui ricane de son bon rire gras, s’estimant heureux d’avoir évité ce 2000 mètres avec des passages à 16%.

         Dans l’après-midi par un temps incertain, notre ami se rend en voiture avec quelques autres collègues au Passo di Falzarego d’où part le “ funivio “ qui mène au sommet du Laguazoi culminant à 2800 mètres. Les voilà donc arrivés sur ce site offrant à la ronde un superbe panorama.

Mais Pierre toujours en quête de nouvelles aventures est attiré par les vestiges des tranchées creusées dans le flanc même de la montagne, datant de la Grande Guerre. Le temps devient de plus en plus menaçant, mais avec détermination et sang-froid il suit ce cheminement pour arriver devant l’entrée d’une galerie!

 Pas un seul instant d’hésitation, il fonce dans l’obscurité.

N’écoutant que son courage dans ce milieu hostile, le cœur battant, il progresse.

 

Au fur et à mesure c’est le noir total, le voici maintenant avançant lentement presque à tâtons, le sol lui semble mou, ses yeux s’habituant difficilement aux ténèbres, son cœur prend le rythme de la chamade, l’appréhension le gagne, le courage à ses propres limites!!

Soudain un souvenir traverse son esprit, sa fameuse rencontre avec un bouc qui lui barrait la petite route pentue menant au Mont Gros, montagne dominant Sospel. Il était seul, à quelques hectomètres du sommet lorsque le terrible nez à nez a eu lieu.

Souvenez-vous, ne reculant pas d’un pouce, droit dans ses cales aux pieds mais restant bien assis sur sa selle, le regard dur, il affronta de longs instants l’animal bien planté qui semblait le prendre pour une chevrette !!

Finalement devant la détermination de notre héros, l’étalon de la chèvre, vaincu, regagna le sous-bois avec un air dépité.

 

         Mais ici dans cette inquiétante galerie, empreint de ce souvenir, il se surprend à frissonner, l’imagination le gagne, pourquoi pas une mauvaise rencontre avec un yéti, non pas l’abominable homme des neiges, mais des Dolomites! D’ailleurs ne lui semble t-il pas apercevoir dans le noir deux grands yeux jaunes brillants!! br! br! Panique à bord, il fait volte face “ subito “ et court comme il peut vers la sortie.

Un yéti aux trousses c’est plus risqué qu’un bouc d’autant plus que dans un boyau pas d’autre échappatoire que la fuite en avant...attention à sa base arrière! Mais notre héros est un homme de toutes les situations et maîtrise tous les problèmes.

         Le voici donc jaillissant de la galerie, remontant les tranchées, courbé sous la pluie pour finalement parvenir au départ du “ funivio “. Et là, surprise c’est le désert.

Il arrive quand même à trouver un  employé qui lui explique tant bien que mal que la dernière cabine est partie avec même un peu d’avance à cause du mauvais temps;

le voici coincé au sommet du Lagazoi...

 

         Un peu plus tard à l’hôtel, branle bas, au fur et à mesure nous apprenons la mésaventure de notre ami qui est peut-être en perdition ? L’épouse d’un cyclo nous parle de son effroi:

rendez-vous compte il est resté là-haut pour la nuit à près de 3000 mètres avec ce temps, ce froid. D’accord il est bien enveloppé, mais tout de même,

il existe bien un refuge mais est-il ouvert?

Quel malheur! Pauvre Pierre!

Les portables se mettent à la recherche de notre ami en perdition et finalement après de vains appels le naufragé est accroché au téléphone. Ouf! Soulagement.

         - Alors Pierre on est inquiet, où es-tu? Que fais-tu?

         - Mais moi je vais bien, je suis au réfectoire du refuge devant une bonne assiette bien garnie et une bonne bouteille!

         Tiens donc, faites vous un souci d’encre de seiche et le voilà à table confortablement installé, une de ses situations favorites! A l’hôtel c’est bien sûr le grand sujet de conversation, ses oreilles ont dû siffler, tinter, bourdonner, toute la soirée.

 

         Soudain, nous vient à l’esprit que dans ces refuges la chambre particulière est exclue seul un dortoir permet le repos;

le fou rire nous gagne tous, car partager la chambre avec lui est un véritable enfer: lorsqu’il prend son sommeil de bien heureux, les cloisons environnantes sont prises de tremblements et de grondements qui vous propulsent hors de la chambre, l’oreiller sur la tête en essayant de le rabattre sur vos oreilles. Signe caractéristique non pas d’un tremblement de terre, mais d’un ronflement proche d’un vrombissement à tue tête sans précédent!

Nous pensons aux compagnons qui partageront sa nuitée...  Les pauvres !

Plus tard lorsque nous apprendrons que ses voisins étaient un groupe de sourds et muets notre hilarité fut à son comble; les malheureux ne sauront jamais ce à quoi ils ont échappé.

Anecdote sur anecdote c’est la cerise sur le gâteau.

 

         le lendemain nouveau RTT forcé, le premier départ du “ funivio “ ne se faisant pas aux aurores, notre survivant du Lagazoi ne reprendra sa place dans le peloton que le surlendemain. 

        C’est a ce titre de héros, bombant le torse, qu’il enfourcha son vélo, filant tout droit vers de nouvelles aventures...

 

Rosa Joseph

août 2005